Le combat pour la transparence des médias et la liberté d’expression : une anecdote révélatrice
J’aimerais vous raconter une petite anecdote, qui permet de comprendre plus en détail l’importance du combat que nous menons. Mediapart a co-produit un film sur l’indépendance des médias, Médiacrash, en salles en ce moment. C’est une initiative qui a priori ne peut qu’être heureuse.
Bernard Arnault, Arnaud Lagardère, Vincent Bolloré… passent à la moulinette.
Une personne manque cependant au portrait d’ensemble brossé par nos camarades.
Il s’agit d’un milliardaire qui détient des parts dans Le Monde, l’Obs, Telerama, C à vous, Brut, Huffington Post, Nice Matin… et une cinquantaine d’autres médias et producteurs de contenus.
Un milliardaire qui a viré Aude Lancelin de l’Obs en invoquant une « ligne politique » trop à gauche (sic).
Qui a affirmé « acheter des parts dans les canards pour qu’ils arrêtent de le faire chier ».
Qui, avant de les acheter, faisait placer des journalistes en garde à vue par des voies détournées lorsqu’il s’estimait diffamé.
Qui a nommé son fils de 20 ans comme administrateur du « fond d’indépendance de la presse » (sic) où il a placé ses parts dans Le Monde, aux côtés de trois autres personnes, afin d’en garder le contrôle.
Qui a évincé, sur demande d’Emmanuel Macron, Mathieu Pigasse de l’ensemble de ses investissements dans les médias, par crainte qu’il oriente leur ligne contre le gouvernement, et dirige d’une main de fer Louis Dreyfus, le directeur général de « ses » principaux journaux, déjeunant bi-mensuellement à ses côtés avec les directeurs de leurs rédactions afin de s’assurer que tout est « bien traité ».
Un milliardaire qui se vante d’avoir Emmanuel Macron au téléphone quotidiennement, que l’on voit régulièrement à l’Elysée, aux réceptions.
Qui a fait élection du président, en le présentant à Mimi Marchand, pour qu’elle lui organise sa campagne people en montant des fausses paparazzades, diffusant des rumeurs, commandant des articles, puis intercédant auprès d’Arnaud Lagardère afin qu’il les publie dans ses médias (Paris Match, Europe 1, Le JDD), siphonnant les réseaux de Nicolas Sarkozy et lui ouvrant son carnet d’adresses, l’invitant à la Station F et à l’école 42 pour invoquer sa modernité, le défendant ensuite, lors des gilets jaunes, publiquement, se rendant ensuite hebdomadairement à l’Elysée afin de le « conseiller » et d’obtenir son appui lorsque cela pourrait l’arranger.
Un homme dont la fortune dépend de l’Etat, et des concessions qu’il en tire, notamment ses licences téléphoniques.
Qui est marié à Delphine Arnault, la fille de la principale fortune mondiale, propriétaire de nombreux médias, et premier annonceur dans la presse.
Cette même personne qui parlait encore, il y a deux semaines, au Sénat, du numéro 2 de la rédaction de Médiapart, Fabrice Arfi, comme « d’un garçon sérieux et raisonnable » (sic).
Comme d’un enfant qui se tient sage.
Xavier Niel donc, a été complètement « effacé » du documentaire d’une heure trente de Médiapart sur… les oligarques et l’indépendance des médias.
Cette anecdote peut sembler secondaire. Elle est significative.
Elle est significative car, par le plus grand des hasards, Xavier Niel se trouve être la même personne qui a apporté près de 10% du capital de Médiapart à sa création.
Et que Médiapart, depuis que j’ai mis en lumière cet élément dans le débat public, se débat enragé afin de prétendre que cet investissement, qui a permis au journal de se lancer, ne produit aucun effet.
Aucun effet ? L’on pourrait penser que masquer légèrement sa vue n’est pas si grave. Que Médiapart apporte une contribution importante au débat public.
C’est vrai.
Mais c’est justement parce que l’ensemble des médias mainstream ont des liens financiers avec un pan de l’oligarchie qu’un sentiment de confusion extrême pèse sur le débat public.
Les citoyens voient régulièrement des fatwa lancées contre tel ou tel, sans comprendre les sous-jacences, liens d’influence, alliances mises en oeuvre entre journalistes, politiciens et forces de l’argent, qui les nourrissent.
Les citoyens finissent par se méfier et par tous les détester, de façon indifférenciée, car ils comprennent, à raison, qu’ils n’assistent qu’à des guerres de faction, là où on leur présente un métier et une noble mission, à savoir faire jaillir la vérité, dans l’indépendance et loin de toute obscurité.
Ce n’est pas anodin, car en abusant ainsi de la confiance des citoyens, ces journalistes et médias, qui se présentent comme des blanches colombes, orientent également les compétitions électorales, vous savez, ces moments où l’on décide de la répartition des ressources de l’Etat au sein du petit Paris, décidant qui, pour les cinq ans suivants, aura droit au plus gros ticket sur les taxes et impôts collectés par l’Etat.
C’est encore moins anodin en ce qui concerne Médiapart, comme je l’ai découvert à mes dépens, en donnant à connaître ces éléments.
Lorsque j’ai exposé, dans Crépuscule, que Xavier Niel avait été l’un des premiers et plus importants investisseurs de Médiapart, Edwy Plenel m’a, dans un premier temps, accusé publiquement, lors d’une conférence filmée, d’avoir menti, et affirmé que je racontais cela parce qu’une pige m’aurait été refusée (sic)
J’ai été très surpris par cette réaction, face à un élément incontestable et secondaire dans ma démonstration qui, présenté de façon non-agressive, visait simplement à montrer l’ampleur de l’emprise de ces oligarques sur la fabrique du consentement.
Je n’avais pas attaqué Médiapart – avec qui j’entretenais de bonnes relations, invité régulièrement à leurs fêtes grandiloquentes mêlant tout ce que le petit Paris d’âmes brillantes fournissait, et où je refusais cependant de me rendre, devinant là une première tartufferie qui me semblait pour le moins embarassante.
La réaction d’Edwy Plenel n’a pas étonné que moi, et une fois qu’il a été établi que je n’avais pas, contrairement à ce qu’il affirmait, menti, une vague de questions ont commencé à être adressées à Médiapart, acculant la rédaction et l’amenant à publier un article qui, à ma grandre surprise, s’est une nouvelle fois révélé insultant et mensonger (voir l’article sur le site de Mediapart).
Bien qu’admettant qu’en effet, Xavier Niel avait bien fait partie des investisseurs fondateurs de Médiapart, s’ensuivait une démonstration maladroite, tentant de délégitimer Crépuscule – qui, rappelez-vous, paru en 2018, a été le premier livre d’enquête sérieux publié sur la macronie, n’a obtenu aucun soutien de la presse et a du être publié en ligne avant qu’un éditeur du village de Vauvert ose l’éditer – prétendant que certes cet investissement existait, mais que cette part était minime, de près de 2%, que Xavier Niel n’était pas milliardaire à l’époque des faits, ni un personnage dont on pouvait penser qu’il posait difficultés, etc.
Médiapart s’engluait en un déni aberrant, dont on ne pouvait comprendre les raisons, et qui suscitait une réaction étonnée chez leurs abonnés (voir publication Twitter).
Xavier Niel était, et cela tout le monde le savait, évidemment déjà milliardaire au moment de son investissement dans Médiapart, avait déjà fait de la détention pour proxénétisme, avait déjà été condamné, avait déjà fait placer en garde à vue des journalistes, etc, et il était impossible que Médiapart, avec leurs sources si assurées, ne l’ait su, ni n’ait connu les liens entre l’oligarque les différents pouvoirs qui le servaient. M. Niel avait bel et bien investi l’équivalent de de 10% du capital initial de Médiapart, et non 2% comme l’affirmait le rédacteur (anonyme) de cet article, en utilisant d’étranges manoeuvres comptables visant à en diluer l’effet, et ne l’avait fait que dans le but de protéger sa réputation et d’influencer des politiciens qui lui permettraient peu de temps après d’obtenir la licence téléphonique à laquelle il aspirait.
Xavier Niel n’était certes pas encore le gendre de Bernard Arnault, première fortune mondiale, propriétaire de LVMH, premier annonceur de France, et du Parisien, Les Echos, Radio Classique, Challenges, etc. Il n’avais pas encore acheté directement ou indirectement une grande partie des journalistes de Paris.
Mais Xavier Niel était déjà tout ça, surveillant obsessionnellement ce qui sur lui se disait, effaçant les vidéos qui le gênaient, cherchant partout appuis pour prendre le pouvoir où il se trouvait.
Ce n’était pas un élément qui m’apparaissait, à l’époque, pouvoir remettre en question la probité de Médiapart ou l’intégrité de ses journalistes. Mais un élément qui permettait peut-être de comprendre l’immense candeur avec laquelle le journal avait traité Macron jusqu’alors. S’il me semblait avant tout gênant pour Xavier Niel et tous ceux qui l’entouraient, et disait quelque chose du système dans lequel nous nous trouvions, il m’interrogeait également: comment et pourquoi ce soutien avait été obtenu ? Quels liens demeuraient ?
Ce à quoi j’ai assisté par la suite m’a non seulement médusé, mais amené à réfléchir sur les véritables enjeux de cette affaire.
La pression continuant à monter, et alors que le blackout médiatique était complet sur un ouvrage qui se vendrait pourtant à plus de 150.000 exemplaires, sans aucune forme de médiatisation, Médiapart faisait paraître un deuxième article, ordurier celui-ci, au sujet de Crépuscule, l’attaquant de façon incompréhensible, et suscitant une réprobation quasi-unanime de la part des abonnés (voir l’article sur le site de Mediapart).
La rage était si apparente sous la plume de Joseph Confavreux que la chose se retournait contre Médiapart, comme elle le ferait contre Marianne, qui publierait une série d’articles identiques pour des raisons similaires, offrant involontairement une respiration à la macédonienne un moment de grande tension (Natacha Polony, la directrice de la rédaction, qui avait été particulièrement élogieuse à mon égard lors d’un entretien encore disponible en ligne, m’avait par la suite demandé d’écrire pour le journal, avant de refuser ce qui deviendrait la trame de Crépuscule du fait probablement des liens qui unissaient le propriétaire de son média, Daniel Kretinsky, à l’Elysée. Je refuserais par la suite, en lui indiquant que ces événements m’apparaissaient indécents, une invitation à un des « coctktails » que là encore organisait Marianne, mêlant politiciens, journalistes et pouvoirs de l’argent, dans le clair obscur de la démocratie. Elle ne me le pardonnerait jamais, lançant une fatwa qui ne s’est jamais démentie depuis, commandant article sur article pour me dévaster, allant en l’un d’eux jusqu’à tenter de m’humilier en sortant des abîmes une note supposément embarrassante que j’aurais eu en licence de droit. Je ne l’ai jamais en retour dénoncée ni attaquée.)
J’ai toujours eu une grande précaution à ces mélanges incestueux entre pouvoirs et journalismes. Je sais la difficulté qu’il peut y avoir à les éviter, en des mondes qui ne cessent de se fréquenter, et avait moi-même connu, encore très jeune, une histoire d’amour avec une jeune journaliste du Figaro. Je tenais toutes ces mondanités pour particulièrement dangereuses. De la même façon que le couple entre Glucksmann et Salamé est gênant – quand bien même Glucksmann ne soit, de ce fait, pas invité à la matinale de France Inter lorsque Salamé y intervient – l’agglomération des réseaux que ces histoires suscitent et révèlent expliquant beaucoup des surcroît de visibilités offerts à des personnes toxiques qui, ne représentant rien ni personne, apparaissent nocifs.
Je connaissais, à l’inverse, la propension de toutes ces personnes à utiliser leur pouvoir et leur accès à l’espace public pour régler des comptes et en tirer des revenus. Car l’information est un marché, et ses effets, depuis la publication des Illusions perdues de Balzac, sont connus. Ainsi les citoyens se trouvent de leur fait prisonniers de logiques qui leurs sont masquées, invités à aimer ou détester des personnes détruites ou louangées pour des raisons qui n’ont rien à voir avec leurs talents ou leur représentativité.
C’était le coeur de Crépuscule, que de rompre avec ces dynamiques et m’émanciper, et je savais qu’en le publiant, je me verrais par ces mêmes logiques dévasté. Je n’imaginais pas cependant jusqu’où cela pouvait aller.
La question que je posais était majeure. Médiapart avait fait l’égard d’une extraordinaire mansuétude à l’encontre d’Emmanuel Macron lors de la campagne de 2017. Cette mansuétude avait joué un rôle clef dans la victoire de ce dernier. Leur seule proximité avec Xavier Niel ne pouvait l’expliquer, mais on ne pouvait, à l’inverse, prétendre qu’elle était sans effets.
Les médias sensationnalistes comme Médiapart dépendent de leur accès aux sources, c’est-à-dire qu’ils servent, bien que prétendant toujours le contraire, systématiquement des intérêts. On ne parle pas sans raisons à des journalistes, et peu sont ceux qui le font par amour de la vérité. La capacité qu’ont le Canard ou Médiapart à tirer des informations provenant des parquets et réseaux policiers est le fruit d’un travail longuement muri dans les sphères de pouvoir, dans un premier temps par Edwy Plenel et les quelques journalistes qui l’ont accompagné en partant du Monde, où ils avaient régné en maîtres pendant des années, puis de ceux qui depuis les ont suivis, dont Fabrice Arfi – qui a des liens familiaux de premier ordre au sein de la police – et Mathieu Suc. Ces renseignements ne s’obtiennent pas sans contrepartie. Elles peuvent être directes – taire un certain nombre d’informations embarrassantes – ou indirectes, permettant à tel ou tel de nuire à leur ennemi ou favoriser leur ami.
Elles ne peuvent être tolérées que si une transparence s’applique à ce sujet.
Il n’y a cependant nulle pureté en ces lieux, plutôt une fange dont les sous-jacences méritent toujours d’être interrogées, et dont le rôle du journaliste est d’au maximum les objectiver.
Revenons donc à Macron, et au-delà de ce que pouvait révéler l’investissement de Xavier Niel dans Médiapart en termes de complaisance morale de la part du journal à l’égard de ses pratiques, ce qu’il pouvait dire de l’insertion du même journal au sein de certains réseaux de pouvoi sur lesquels, en conséquence, il n’enquêterait.
J’avais rappelé la proximité historique et conflictuelle d’Edwy Plenel avec Alain Minc, factotum d’Emmanuel Macron et principal relais des milieux d’affaires au sein de l’Etat, ainsi que son animosité à l’égard de Jean-Luc Mélenchon, à l’origine incertaine et liée probablement aux rivalités nourries par les réseaux trotskystes auxquels ils avaient appartenus. J’avais indiqué également que l’avocat historique de Médiapart, Jean-Pierre Mignard, que je connaissais bien, avait joué un rôle clef dans la campagne de Macron, et notamment ses levées de fond auprès d’oligarques en Algérie, sujet sur lequel rien n’avait jamais été, dans le journal dit, et que Marc Endeweld révélerait. Je découvrirais plus tard les liens familiaux entre la fondatrice et directrice générale de Médiapart, Marie Hélène Smiejan, et Emmanuel Macron, auprès de qui elle avait casé son fils à un poste clef, ce qui jouerait un rôle important dans l’obtention de deux entretiens particulièrement complaisants entre Emmanuel Macron et la rédaction alors que la campagne avançait (voir la publication Twitter).
Ces éléments m’apparaissaient essentiels pour comprendre ce qui, alors que les gilets jaunes, naissaient, apparaissait comme une erreur historique du journal: une complaisance absolue avec le représentant des principales mafias parisiennes qui s’était notamment concrétisée lors du débat d’entre deux tours organisé par Médiapart, dans ses locaux, avec Emmanuel Macron. Alors même qu’il s’agissait du représentant de la bourgeoisie affairiste, de l’oligarchie supposément combattue par ce média, sur laquelle Martine Orange et Laurent Mauduit, notamment, ne cessaient de travailler, un étrange air d’amitié les avait visiblement reliés et Emmanuel Macron avait pu se permettre de traiter Matthieu Magnaudeix comme d’un enfant – quelques années, donc, avant que Xavier Niel ne fasse de même au sujet de Fabrice Arfi, dont on se demandait pourquoi et à quel titre ils se fréquentaient.
Découvrant et révélant plus tard que Laurent Mauduit était le compagnon de la directrice de la communication de Carrefour, dont l’actionnaire principal était Bernard Arnault, j’avançais, sans insister, comprenant qu’il s’agissait là probablement de l’une de ses sources principales pour enquêter sur ces sujets.
Quelques mois plus tôt, une source m’avait indiqué que Médiapart avait été le premier récipiendaire des informations concernant l’intervention d’Alexandre Benalla le 1er mai 2018 contre des concitoyens, et qu’ils les avaient refusée, ce qu’Edwy Plenel nierait.
Médiapart, sur toutes ces questions, ne s’en est jamais expliqué, et n’a jamais répondu aux questions plus précises sur les conditions qui ont amené Xavier Niel à investir chez eux.
Ce qui a suivi n’est que la laideur habituelle que produisent les pouvoirs lorsqu’ils se sentent menacés. Je notais la réaction d’Edwy Plenel, devant les caméras de Thinkerview, lorsqu’il était interrogé sur Crépuscule, me « rappelant » que « les aventures solitaires » ne se finissaient « jamais bien ».
La suite est à l’avenant, comme vous le savez, et je ne voudrais le leur reprocher. Je note simplement qu’à partir de ce moment là, Médiapart commencerait à enquêter, non sur mes engagements, ma probité, mais sur ma vie privée, et que cela, pendant deux ans selon leurs propres termes, continuerait jusqu’à donner une de ces insignifiantes laideurs que Paris sait enfanter.
Qu’importe, puisqu’ils faisaient ce pour quoi ils étaient payés.
Dans la suite de Crépuscule, Médiapart diluait l’investissement de Xavier Niel – qui en tirerait un bénéfice multiplié par « quatre ou cinq », selon ses termes, comme, au demeurant, leurs fondateurs, rendus millionaires par l’opération – en créant une fondation afin de « devenir indépendants ». Ils me donnaient raison, sans l’admettre à aucun moment.
Tandis que Médiapart prospérait sur la révélation des vices et vertues d’un Petit Paris qui chez eux se précipitait, alternant publications de premier ordre et enquêtes avariées, l’un de ses actionnaires fondateur devenait le gendre de la plus grande fortune du Monde, propriétaire de tout ce que le Petit Paris, de plus sale, fabriquait. Ancien proxénète, principal hébergeur de contenus pédopornographiques de la planète, ayant fait sa fortune dans les « sexshops » et le minitel rose, avant d’entrer en des rapports de corruption de de politiciens qui lui permettraient de se faire adopter par cette intelligentsia qu’il avait longtemps prétendu détester, faisant de son fils, à vingt-ans, l’héritier d’un empire alors qu’à l’héritage il avait jusqu’alors prétendu se refuser, effaçant régulièrement ce qui sur lui se publiait, échappant à poursuites et condamnations via des manoeuvres frauduleuses – ce même Xavier Niel donc, qui par excès d’hubris, avait dévasté notre politicité – respirait satisfait. Claudia Tavares avait beau, en un livre extrêmement courageux, révéler les abus que systématiquement, à ses employées, il faisait subir, ni Médiapart, qui s’était fait le chantre de la lutte contre les violences sexuelles, ni personne d’autre, n’en dirait mot. Xavier Niel détenait, aux côtés de son gendre, tous les leviers qui à Paris, font que l’on parle, ou que l’on se taise, et sur Médiapart, comme sur en tant d’autres, continuerait de peser.
Au point de se voir effacé d’un documentaire entier censé porter sur l’indépendance de la presse en un pays où, sur cette même presse, il s’était décidé à régner.
Plus un mot sur ses abus, présents ou passés. Il avait gagné.
Voilà comment se fabrique l’information en France. Voilà comment l’on visibilise ou invisibilise selon ses intérêts.
Je tenais à vous le raconter, pour que vous compreniez d’une part à quel point il est difficile de tenir en une forme de probité sans finir complètement isolé, ou dévasté – je n’ai ainsi, jamais donné suite aux tentatives de marchandages qui ont alterné les « coups de pression » qui m’étaient infligés, et je n’ai jamais rien caché des liens qui à tel ou tel avaient pu me relier.
Et Crépuscule a marché justement parce que ce texte avait le goût de la liberté. Parce qu’il n’appartenait à personne, et reniait tous ces petits marchandages, qui, vous donnant l’impression de vérité, ne font de vous que les pantins de règlements de compte sans intérêt.
En brûlant tous les vaisseaux, je voulais vous faire sentir l’écart qui avec ces êtres nous tenait. Vous faire sentir l’odeur de la liberté dans laquelle, un instant, je plongeais.
C’est pour cela que le livre a été téléchargé plus d’un million de fois, écouté plus de 500.000 fois et, demeurant en accès libre, s’est vendu à 150.000 exemplaires, alors qu’aucun média n’en parlait, et surtout, qu’aucun réseau de pouvoir, d’une façon ou d’une autre, le soutenait.
Cela montre, sans la démontrer, la force et la valeur de la sincérité.
Je ne sais combien de personnes ont vu Médiacrash. Mais j’espère que ceux qui l’ont vu et recommandé comprendront que quelque chose, là encore manquait, et que ce quelque chose est plus important que ce qu’ils auraient pu penser.
Vous n’imaginez pas à quel point révéler ces informations peut coûter, et la peur qui peut saisir quiconque s’y aventurerait. Car nous avons tous failles et faiblesses qui peuvent par d’autres être exploitées. Une mauvaise note qui pourrait nous embarasser. Un être à protéger. C’est l’explication à la lâcheté de la plupart de ceux qui se sont engagés, et qui restent au milieu du gué, incapables d’aller jusqu’au bout et de rompre avec les pouvoirs institués.
On l’a encore vu récemment avec l’excellent complément d’enquête sur Mimi Marchand, qui reposant largement sur les révélations de Crépuscule, en oubliait toutes celles qui aux oligarques avaient trait.
Je l’ai cher payé, vous le savez. Et pourtant jamais je ne m’en servirai pour à mon tour me venger. Ma dignité passe, tout d’abord, par tout assumer, quelque soit le coût. Et ensuite, par retenir et faire taire les passions tristes qui d’autres ne cessent d’emporter.
Votre amour, et ce que vous m’apportez, sont la condition de ce succès. La seule façon d’équilibrer cette aventure insensée, qui aura amené, en quelques années, mon image, ma carrière, mon intimité, à se voir dévastées.
Pensées et reconnaissance infinie à tous ceux qui, pendant cette période là, auront été à mes côtés.
Vous êtes la raison qui fait que je tiens et me convainc de ne rien lâcher.