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Lettre aux sénateurs chargés d’auditionner, à partir de mercredi et sous serment, Bernard Arnault, Xavier Niel, Arnaud Lagardère et Vincent Bolloré.

Jan 17, 2022 | 0 commentaires

Lettre aux sénateurs chargés d’auditionner, à partir de mercredi et sous serment, Bernard Arnault, Xavier Niel, Arnaud Lagardère et Vincent Bolloré.
Fait à Paris le 17 janvier 2022
Mesdames, Messieurs les sénateurs,
En tant que membres de la commission sur la concentration des médias, vous allez avoir le privilège d’auditionner Messieurs Vincent Bolloré, Xavier Niel, Arnaud Lagardère et Bernard Arnault dans les jours qui viennent.
Rappelons que M. Niel, après avoir soldé, très récemment, ses parts dans Médiapart, détient des parts dans Le Monde, Télérama, Courrier international, l’Obs, Brut, Atlantico, Les Jours, La Provence, Nice Matin, France Antilles, Lagardère Studio, Troisième Oeil (C a vous, Zemmour et Naulleau, etc), Paris Turf, Les cahiers du cinéma, Corse Matin, les chaines Science & Vie TV, Mon Science & Vie Junior, Toute l’Histoire, Animaux, Chasse & Pêche, Ultra Nature, Crime District, ABXplore, RTL9, AB1, Action, Action Max, Mangas, AB3, Automoto, Trek, Golf Channel, des émissions comme Top Chef ou The Voice (au sujet desquels Cyril Graziani, propulsé à la tête du service politique de France Télévisions quelques mois avant l’élection présidentielle, échange tous les samedi soirs avec le Président) et une trentaine de producteurs audiovisuels. Qu’il a tenté de racheter RTL et M6, qui ont finalement échu à Bouygues.
Que son beau-père et co-investisseur, Bernard Arnault, déjà propriétaire des Echos, Radio Classique et du Parisien, détenteur de parts dans Slate et L’Opinion et premier annonceur de France, vient de prendre des parts dans Challenges et dans le groupe Lagardère (JDD, Paris Match, Europe 1…) en s’associant avec Vincent Bolloré (Vivendi – C8, CNEWS, C+…) qui vient de racheter le groupe Prisma, notamment propriétaire de Capital, Voici, Gala, etc.
Que l’ensemble de ces médias s’ajoutent aux maisons d’édition, diffuseurs et distributeurs, agences de communication, producteurs audiovisuels et autres officines chargées de fabriquer les images et les opinions, Vincent Bolloré détenant, par exemple et en sus, l’agence Havas, Editis, et s’apprêtant à prendre le contrôle du groupe Hachette.
Dans le cadre de leurs interventions, il vous sera expliqué que ces quelques individus ne nourrissent aucun intérêt pour les enjeux politiques, n’ont investi dans les médias et la presse qu’à des fins altruistes et désintéressées, et mis en place l’ensemble des procédures nécessaires au respect de l’indépendance de leurs rédactions.
Il vous sera expliqué, notamment par M. Niel, qu’aucune intervention sur le contenu des médias dans lesquels il détient des parts n’intervient jamais.
Il vous sera raconté par ce dernier qu’une fondation a été créée afin de sanctuariser l’indépendance du groupe Le Monde qu’il détient.
Il ne vous sera pas indiqué par M. Niel, que celui-ci – selon les propos de M. Dreyfus lui-même dans le cadre d’un portrait effectué par Challenges – déjeune tous les quinze jours avec le directeur général du Monde ainsi que la direction des rédactions.
Il sera oublié de vous rappeler que M. Niel a imposé le précédent directeur des rédactions M. Fénoglio, aux journalistes du Monde, malgré l’opposition de ces derniers, en procédant à plusieurs votes consécutifs afin de la surmonter.
Il sera oublié de vous rappeler que l’intervention indirecte des actionnaires est bien plus efficace que toute intervention directe, préservant une apparence d’indépendance pour les journalistes tout en orientant la ligne des médias concernés, en agissant de façon « invisible » par ruissellements successifs des hiérarchies, mais aussi en agissant directement sur les nominations, promotions et nominations, et par autocensure.
M. Niel oubliera au surplus de vous indiquer qu’il détient de facto un contrôle absolu sur la fondation censée assurer l’indépendance du groupe Le Monde. Mais aussi de vous rappeler qu’il avait indiqué qu’il investissait dans des « canards » afin « qu’on lui foute la paix » au sujet d’un passé sans dignité et ses présentes activités.
Il sera oublié également oublié de vous rappeler que M. Niel, qui se vantait au début du quinquennat d’avoir au téléphone le président quotidiennement, intervint sur Europe 1 en faveur de M. Macron lors de la crise des gilets jaunes, après l’avoir invité lors de la campagne de 2017, et par la suite, lors de simili meetings de campagne organisés gratuitement à la Station F afin de mettre en valeur sa « modernité ».
Il sera oublié de vous rappeler son rôle dans sa rencontre avec Mimi Marchand, qui fut l’agent intercesseur entre les médias détenus par Arnaud Lagardère – aujourd’hui rachetés par Bernard Arnault et Vincent Bolloré –, Xavier Niel et le couple Macron.
Il est notable qu’aucune enquête sur les liens l’unissant au Président de la République – qui lui avait notamment proposé l’investiture à la mairie de Paris – n’a jamais été publiée dans un quelconque des médias dont il est sujet.
Il sera oublié de vous indiquer que, de son côté, M. Arnault signait, en une pleine page, un appel à voter pour M. Macron au sein de son journal Le Parisien en 2017. Il sera oublié de vous faire savoir que M. Arnault se vantait de dîner hebdomadairement avec M. Macron lorsque celui-ci était candidat, et que ceci fut sans doute sans effet sur la couverture bienveillante que ses médias lui offrirent lors de la campagne présidentielle et par la suite.
Que M. Arnault « habille » gracieusement depuis, par le truchement de ses marques, LVMH, Madame Macron, de façon continue et à des fins publicitaires ; que LVMH est le plus important annonceur de France ; qu’il n’hésite pas à menacer de faire retirer ses publicités dans les médias qui le gêneraient (comme cela fut le cas contre Libération après la révélation de son exil fiscal) ; et que M. Macron s’est montré à de nombreuses reprises en retour « reconnaissant », de son invitation au dîner d’Etat donné en son honneur par Donald Trump à l’instruction donnée au Quai d’Orsay d’intervenir en faveur des intérêts de LVMH dans le cadre du rachat du joaillier Tiffany.
Il sera oublié de vous conter le témoignage de Tristan Waleckx, rédacteur en chef de l’émission Complément d’enquête sur France Télévision, relatant les indécentes pressions provenant de LVMH pour l’empêcher d’enquêter au sujet de M. Arnault, et bien d’autres relatés par M. Rivoire, que vous avez auditionné.
De son côté, il sera oublié par M. Lagardère de vous conter que M. Macron fut son banquier d’affaires lors de son passage chez Rothschild, ainsi que les conditions d’acquisition et de cession de Gulli et le rôle joué par les proches conseillers de M. Macron – et ses futures employés – afin de lui permettre d’obtenir la plus value que l’on sait, ainsi que le rôle que joua M. Macron – alors secrétaire général adjoint de l’Elysée – dans la cession des actions de M. Lagardère dans EADS.
Il sera oublié de vous conter qu’en retour, M. Lagardère dépêcha M. Khiroun, son factotum, auprès de M. Macron lorsque celui-ci était ministre de l’économie, afin de l’aider à façonner son image. Il sera oublié par M. Lagardère de vous conter ses multiples interventions, assumées pourtant dans un portrait fait par Sandrine Cassini pour le journal Le Monde, au sein de ses rédactions, notamment par le truchement d’Hervé Gattegno en ce qui concerna dans un premier temps M. Sarkozy, puis M. Macron
Il sera oublié par M. Lagardère de conter comment Mimi Marchand organisa de fausses paparazzades payées à prix d’or par Paris Match, puis relayées dans ce média et d’autre, pour mettre en scène le couple Macron et lancer la campagne de ce dernier.
Il sera « oublié » par M. Arnault, M. Lagardère et M. Bolloré, de vous raconter comment ceux-ci mirent volontairement fin à l’indépendance du groupe Le Monde en retirant des imprimeries du groupe leurs titres de presse, rompant l’équilibre économique du groupe et mettant fin à soixante ans de contrôle des rédactions sur leurs titres, permettant à M. Niel, futur gendre de M. Arnault, de prendre le contrôle du média.
Il en ira de même sur les liens incestueux que tous ces êtres maintiennent avec le politique depuis de trop nombreuses années, en témoignent le statut de témoins de mariage de M. Sarkozy de Messieurs Bouygues et Arnault et ses liens moult fois décryptés avec Messieurs Lagardère et Bolloré ; liens qui, suite à l’élimination de ce dernier lors de la primaire LR de 2016, furent monnayés pour nourrir la candidature que l’on sait.
Vous aurez l’opportunité d’interroger Messieurs Drahi et Weil, sur le rôle du groupe Altice dans l’ascension de l’actuel président, et sur le rôle – annoncé dans Crépuscule et confirmé par une récente édition de Complément d’Enquête – de Brigitte Macron et Mimi Marchand dans la nomination de M. Fogiel à la tête de BFM TV.
Vous aurez bien entendu loisir d’interroger M. Bolloré sur ses multiples interventions au sein du groupe de presse qu’il a racheté – de la suppression des Guignols de l’Info au démantèlement du pôle investigation de Canal + en passant par les plus récentes promotions de ses vecteurs idéologiques. Il serait cependant embarrassant de considérer que seules les pratiques de ce dernier posent problème.
Il serait embarrassant que vous vous contentiez d’accepter que faute d’intervention directe dans les contenus rédactionnels, aucune difficulté ne devrait être notée, alors que ce sont les recrutements, promotions, et instructions indirectes, par le biais de factotum comme Louis Dreyfus, Ramzy Khiroun, Arnaud de Puyfontaine, qui permettent à ces quelques milliardaires de tenir la fabrique du consentement qui altère notre démocratie, sans que les journalistes eux-mêmes, membres des rédactions mentionnées, ne soient témoins des pressions auxquelles sont soumises leurs hiérarchies.
Que tout cela s’ajoute au contrôle par ces êtres de réseaux policiers, judiciaires et politiques extrêmement puissants, le contrôle sur la visibilité déterminant, en tout système démocratique, le devenir électoral des hommes politiques et les carrières de ceux qui par eux sont nommés, promus et mutés.
Que tous ces êtres, enfin, ont un intérêt direct à agir sur les affaires de la cité, M. Arnault ayant construit sa fortune sur les faveurs rendues par l’entourage de M. Fabius qui lui offrit, littéralement, le groupe Boussac contre des garanties qui ne seraient jamais respectées ; M. Niel et M. Drahi – dont les interactions avec M. Macron et M. Hollande lors du rachat de SFR et la constitution concomitante de la branche média de Altice ont été largement contées par son factotum M. Bernard Mourad – voient leur fortune dépendre directement de licences octroyées par l’Etat ; que M. Lagardère et M. Bolloré, enfin, dans une moindre mesure, ont hérité de groupes constitués grâce à l’Etat et qui dépendent largement du soutien de ce dernier.
Que tout cela, au-delà des violents pillages que cela suscite, a un effet corrompant sur l’ensemble des élites intermédiaires, et retire au peuple de France sa souveraineté.
L’ensemble de ces éléments, et bien d’autres, ont été exposés notamment dans l’ouvrage Crépuscule, et ont fait l’objet de démonstrations implacables, qui n’ont jamais été contestées. Elles vous offrent des éléments permettant de jauger du niveau d’incestualité qui habite le politique en France, et expliquent que l’on lui applique le qualificatif d’oligarchique. Des dizaines d’autres éléments pourraient être ajoutés, concernant notamment les secteurs de l’édition et de la radio.
Il vous appartient, Mesdames, Messieurs les sénateurs, de vous montrer à la hauteur de vos fonctions, et oubliant un instant vos appartenances partisanes, de déconstruire la fabrique de l’information qui, mise en œuvre par ces individus, sclérose notre démocratie et la vide de son sens.
Vous ne le ferez pas, car vous appartenez, directement ou indirectement, aux dispositifs de pouvoir mentionnés.
Cette lettre vous interdira cependant de prétendre, en entendant les discours chloroformés des individus que vous auditionnerez, que vous ne saviez pas, et que vous pouviez leur accorder une quelconque crédibilité.
Juan Branco

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